LE COURTIER ET LE PORTEUR DE RISQUES DEFAILLANT – Fable des temps modernes appliquée au secteur de la construction
Le secteur de l’assurance construction serait-il maudit ?
Déjà secoué par les liquidations judiciaires successives de plusieurs protagonistes1 qui souscrivaient en France, dans le cadre de la LPS, des contrats d’assurance DO et RC décennale, l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution donne l’impression de faire le ménage.
=> Premier coup de grisou, le régulateur français a pris à l’égard de l’AMIG2 – depuis le 13 juillet 2022 – une mesure d’interdiction temporaire3 de souscription de tout nouveau contrat d’assurance et ce « afin de protéger les intérêts des assurés et des bénéficiaires… ».
Pour justifier sa décision, l’ACPR explique que « L’AMIG ne respecte plus les exigences réglementaires qui lui sont applicables en matière de solvabilité. Ainsi, la capacité de la société d’assurance mutuelle à faire face à l’ensemble de ses engagements, notamment du fait du fort développement de l’activité en assurance construction, est incertaine.
Cette interdiction sera levée lorsque la société d’assurance mutuelle AMIG aura pu justifier auprès de l’ACPR qu’elle respecte les exigences réglementaires qui lui sont applicables ».
Fondée en 1919, cette mutuelle assurait jusqu’à récemment exclusivement des risques en assurance habitation, propriétaires non occupants, ou encore copropriétés. En 2020, sollicitée et probablement attirée par un marché sur lequel le nombre d’acteurs est aujourd’hui plutôt restreint, l’AMIG s’est lancé à l’assurance dommages-ouvrage (DO).
Or, cet assureur ayant probablement conclu une délégation de souscription et de gestion assez complète avec certains acteurs du marché, l’ACPR profite de cette communication pour rappeler, à toutes fins utiles, que « les organismes d’assurance gardent la pleine responsabilité des activités sous-traitées et qu’il importe donc que les prestations externalisées, notamment la souscription et la gestion des sinistres, soient pleinement maîtrisées ».
C’est assurément ce qui fait défaut aujourd’hui et qui a conduit au prononcé d’une interdiction temporaire qui a finalement assez peu été prononcée depuis la création de l’ACPR.
=> Un deuxième acteur mutualiste est également dans le collimateur du régulateur français : il s’agit d’UniRé Assurances. Cette Union mutualiste4 a récemment révoqué son directeur général, Laurent BORDERIE. Cette révocation n’est peut-être pas sans lien avec le contrôle de l’ACPR dont cette union a été l’objet et avec l’épée de Damoclès que constituerait une éventuelle interdiction de souscription de toute nouvelle police d’assurance !
A nouveau, les intermédiaires d’assurance en général, et les courtiers de proximité en particulier, vont être en première ligne pour expliquer à leurs clients, les assurés, les éventuelles conséquences en cas de défaillance de l’assureur.
En termes de démarches, en pleine période de renouvellement des contrats d’assurance pour 2023, les courtiers vont devoir :
1- Informer rapidement leurs clients respectifs sur le risque possible de défaillance de l’assureur ;
2- Tenter de trouver une solution alternative, à garanties et tarifs identiques ou au moins similaires, auprès d’un assureur notoirement solvable ;
3- Procéder, si les conditions sont réunies, à la nouvelle souscription.
Certains ne manqueront pas de poser à nouveau la question de l’éventuelle responsabilité du courtier dans le fait d’avoir proposé à ses clients et/ou prospect une solution assurantielle souscrite auprès d’un acteur qui se révèle finalement défaillant.
En sa qualité d’intermédiaire d’assurance, le courtier n’est pas juge de la solvabilité des différentes compagnies d’assurance, dont le régulateur a la charge de contrôler les différents états réglementaires et de surveiller le respect de différents ratios. En revanche, le fait de maintenir son client dans une illusion de couverture d’assurance ou le fait de continuer de proposer des contrats d’une compagnie connaissant des problèmes de solvabilité pourrait éventuellement engager sa responsabilité civile.
Néanmoins, il est hautement recommandé à un courtier de s’interroger sur la situation d’acteurs qui seraient à l’évidence peu armés pour porter des risques complexes ou difficiles. Ils peuvent aussi s’inquiéter de montages de type millefeuille qui n’offrent pas une vision suffisante de leur solidité. L’histoire récente montre combien cela a pu conduire à des situations difficiles voire dramatiques pour les assurés.
Dans l’hypothèse ultime d’une liquidation judiciaire d’un assureur ayant délivré des polices d’assurance dommages-ouvrage, il convient de rappeler que l’article 159 de la Loi de Finances pour 2022 a élargi le périmètre d’intervention du Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO) pour les polices d’assurance dommages-ouvrage bénéficiant à des propriétaires particuliers.
Alain Curtet
Avocat au barreau de Paris
acurtet@accompliance.fr
A n’en pas douter, Jean de la Fontaine aurait pu s’emparer de la situation actuelle, avec beaucoup plus de talent que le nôtre, sur le marché de la construction :
Le courtier ayant placé
Tout l’été
Se trouva fort dépourvu
Quand l’assureur n’en put plus
Pas un produit d’assurance de substitution
Digne de ce nom sur le marché de la construction
Il alla démarcher tous les acteurs du marché
Les priant de lui trouver une solution pour ses clients jusqu’à ce qu’un nouvel acteur étranger vienne encore perturber le marché
Je vous proposerai tous mes risques à placer, y compris les bons que je pouvais facilement assurer !
L’assureur n’est pas prêteur
C’est là son moindre défaut
Que faisiez-vous quand je vous parlais de mutualisation et d’augmentation de tarif sur ce marché risqué ?
Nuit et jour, à tout venant, je plaçais mes risques chez des concurrents
Vous placiez ? J’en suis fort aise.
Et bien cherchez en d’autres maintenant !
A.C
1 – Citons pour mémoire : Elite et Enterprise Insurance Company PLC, immatriculés à Gibraltar, Alpha au Danemark, Gable au Lichtenstein, CBL de Nouvelle-Zélande, immatriculé en Irlande – et de courtiers, filiales de CBL, SFS et EISL
2 – Assurances mutuelles d’Illkirch-Graffenstaden, société d’assurance mutuelle (SAM), dont la dénomination sociale exacte est ASSURANCE MUTUELLE D’ILLKIRCH GRAFFENSTADEN, immatriculée au RCS sous le n° 302 134 077.
3 – en application de l’article L. 612-33 3° du Code monétaire et financier qui liste les pouvoirs de l’ACPR
4 – regroupant les Mutuelle d’assurances Bresse Bugey, la Mutuelle Val de Saône Beaujolais, Optim’Assurance et la SMAB (depuis le 1/1/2022)