Comment va l’assurance française ? Pas mal, merci.
Manifestement, l’assurance française affronte les difficultés du temps (aléas climatiques, inflation, taux obligataires, nouveaux risques, …) avec une belle maîtrise. Son CA est en croissance et sa marge de solvabilité reste robuste. Néanmoins, elle va affronter des ruptures dans son environnement d’une tout autre ampleur que les évolutions connues jusqu’ici.
Des assureurs sous tension, certes, mais qui affichent une belle activité selon l’ACPR1. A fin juin 2023, le taux de couverture moyen du CSR s’établit à 255% (contre 247% au 30 juin 2022). Il est stable pour l’assurance vie (272%) et en progression à 244% (232% en 2022) pour les organismes mixtes. Les affaires directes non-vie progressent de 6.4% avec un ratio combiné qui s’améliore à 97.7% (contre 100% en 2022). En d’autres termes une double maîtrise du CA et des sinistres. En assurance vie, la collecte progresse de 2.3%, mais les supports en euros subissent une décollecte très marquée au 1er semestre 2023 (-17.5 milliards €) néanmoins les supports en unités de compte, sur la même période, progressent de +20.9 milliards €. Il faut féliciter les acteurs du secteur pour cette bonne santé de l’assurance française. Elle met en évidence leur maitrise dans un environnement chahuté et donc leur capacité à assumer leurs engagements.
Pour autant, les difficultés restent nombreuses dont la plus prégnante est liée à l’accumulation des modifications structurelles de l’environnement. En fait, il n’est plus seulement question de gérer des évolutions tendanciellement longues et de trouver les modalités de s’y adapter. Dans bien des domaines, il faut faire face à des ruptures profondes où les réponses sont à inventer. En quelque sorte, le vertige de la page blanche. Le thème le plus emblématique est celui du climat. Mais il n’est pas le seul, le cyber risque, l’IA, les pandémies, … Comment les techniques de l’assurance peuvent-elles leur apporter des réponses alors que la compréhension réelle, opérationnelle, de leurs mécanismes et de leurs impacts échappe encore à l’analyse professionnelle ? Ajoutons à cela que, quel que soit le domaine vers lequel nous nous tournons, nous voyons bien que rien ne sera possible sans une responsabilisation accrue des clients. Et cela, dans une société dans laquelle la prévention n’a jamais suscité d’intérêt, sinon sous la contrainte, et où l’aversion au risque est élevée au rang de vertu cardinale. Or, demain, en réalité très vite, un réel partage du risque entre la collectivité, les assureurs et les clients va s’imposer.
Sans cette prise de conscience, qui ne pourra pas rester seulement d’ordre intellectuel, la belle maitrise des seuls professionnels du risque, les assureurs, ne pourra perdurer. Sans nul doute, les dirigeants en ont pris conscience. La classe politique, c’est plus douteux. Les clients sont très majoritairement dans des dispositions d’esprit très différentes et la demande de prise en charge – d’assistanat- est dominante. L’enjeu de la prise de conscience est vital. La distance entre la perception, les attentes des clients et des comportements qui intègrent ces nouvelles réalités est abyssale. Or, la compréhension de ce qu’il se passe n’est pas du seul ressort du discours. Il faut inventer autre chose, une interaction active et constante avec les clients. Là encore, la mobilisation de toutes celles et de tous ceux qui sont en contact avec les clients est la première étape. Encore faut-il qu’ils soient, eux-aussi, motivés et impliqués pour devenir les ambassadeurs d’une attitude nouvelle face au risque. Il faut réapprendre à aller vers l’inconnu et mettre fin au mythe de la possibilité de tout maîtriser2.
1 Autorité de contrôle prudentiel et de résolution – situation des assureurs soumis à Solvabilité II au 1er semestre 2023
2 Ulrich Beck : La société du risque – 1986
Henri DEBRUYNE