Attention, temps troublés et pressions inconsidérées ne facilitent pas les bonnes décisions
L’air du temps n’aide pas à réfléchir posément. Plus les questions sont complexes et moins les raisonnements sont rationnels. Rôle de l’assurance dans l’économie, modalités et contingences de son exercice sont relégués au profit des urgences du moment. Lourde erreur.
La situation financière de la France est critique. Nul ne l’ignore, le gouvernement cherche 60 milliards d’urgence et, en écho, tous ceux qui pourraient être concernés poussent des cris d’orfraies, pas moi, pas moi. Le théâtre habituel, qui cache, en réalité, des mouvements plus insidieux, pour ne pas dire moins francs. Dans le paquet de l’urgence, un nouveau transfert de charges de la sécurité sociale vers les complémentaires est annoncé. Alors même que le dispositif devrait être largement refondé l’Etat met des rustines. Dans la même veine, la place de l’assurance-vie dans le financement des retraites à venir, alors même que la démographie est de moins en moins favorable à la répartition, n’est pas plus abordée, or elle est cruciale. Pour ne citer que les plus évidentes.
Tout aussi insidieusement, revient, à bas bruits, la question des frais et chargements des produits d’assurance. Bien sûr trop élevés, affirmation lapidaire qui ne repose que rarement sur des démonstrations objectives. En effet, l’analyse des modèles économiques, la viabilité des situations et le coût réel des prestations de services (conseil, information et accompagnement) sont à peu près systématiquement éludés. Or, la vérité des prix existe dans la gestion et la distribution des produits d’assurance comme ailleurs. Or, ces aspects, au centre de la réglementation qui vient, ne sont pas abordés. Que ce soit la RIS ou la révision de la DDA qui suivra, la question prend de l’acuité. Affirmer, voire renforcer le conseil avec un degré de justification supplémentaire (le bon rapport qualité-prix) est une bonne chose, mais cela a un coût. Que celui-ci soit bridé n’est pas en soi un problème, à condition qu’il le soit par des mécanismes sains. C’est au client d’en décider, donnons-lui le moyen d’arbitrer et pour le reste laissons la concurrence opérer. Evitons toute régulation bureaucratique, productrice de contraintes contre-productives. Pour le client, mais aussi pour les marchés et la collectivité qui doivent pouvoir bénéficier sans filtres inutiles de services innovants.
Mario Draghi l’a dit on ne plus clairement, en appelant à alléger ces contraintes bureaucratiques pour libérer les énergies et favoriser l’innovation. L’Union des marchés de capitaux n’atteindra ses objectifs, cruciaux pour l’Europe, que si la collecte financière gagne en efficacité et qu’elle est mobilisée pour le financement des projets européens. Pour y parvenir, il faut des distributeurs pro-actifs, mobiles et disponibles et dont la compétitivité n’est pas bridée. Or l’arsenal juridique qui se profile peut vite contraindre les temps commerciaux. Si cela est le cas, la sanction se payera cash. Car elle amoindrira la collecte et démotivera les bonnes volontés.
Si la question des rémunérations est aussi lancinante, c’est faute d’être abordée de face. Trop d’arrières pensées, de craintes infondées planent sur un débat qu’il faut pousser au fond et rationnaliser. Les organismes d’assurances ont besoin de distributeurs motivés et sans inquiétudes excessives sur leurs équilibres financiers. Ces derniers, dont la situation est plutôt bonne, doivent une grande part de leur sérénité à la solidité des organismes d’assurances. Malgré ces évidences qui devraient permettre un diagnostic partagé et d’affronter les temps troublés qui viennent, chacun joue sa partition en solo en espérant perdre le moins de plumes. Lourde erreur.
Henri DEBRUYNE